Plume féconde

Au-delà des frontières : Une exploration qui m’a conduit de la République Dominicaine vers Haïti

Alors que je montais à bord de l’avion à destination de la République Dominicaine en 2020, mon cœur battait la chamade, rempli d’anticipation et de nostalgie. En plein milieu de la pandémie, et en dépit du confinement, je cherchais un air à la fois nouveau et familier. Cela faisait sept ans que j’avais quitté mon pays natal, Haïti, pour chercher de nouvelles opportunités aux États-Unis. Pendant toutes ces années, je n’avais réussi à visiter Haïti que deux fois, pour de brefs instants fugaces. Mais à présent, il était temps d’établir une connexion plus profonde avec mes racines et de mieux comprendre ce lieu que j’avais autrefois appelé chez moi.

Carte de la frontière entre Haïti et la République dominicaine. Crédit : Google Maps

Même si je ne voyageais pas directement vers Haïti, la proximité entre la République Dominicaine et Haïti me procurait la sensation enivrante de revenir chez moi. Je ressentais le besoin ardent de m’acquitter d’une dette envers cette terre qui avait façonné mon identité, et j’avais l’ardent désir d’explorer davantage sa beauté et sa complexité. Durant longtemps, j’avais envisagé de revenir y vivre de manière permanente, mais l’instabilité politique persistante et les troubles qui sévissaient rendaient ce projet de moins en moins évident.

Au-delà de la frontière

Depuis 2020, je passe donc la majeure partie de mon temps en République Dominicaine. Fatigué du coût de vie à New York et incapable de rentrer directement à Haïti, j’avais décidé d’explorer la République voisine afin de voir si je peux m’y établir de manière permanente, étant donné que mon travail de traducteur pour des institutions américaines pouvait se faire à partir de n’importe où. La proximité avec Haïti évoquait en moi un sentiment familier, car les deux pays partagent des similitudes dans de nombreux domaines. L’esprit caribéen et la culture sont profondément ancrés dans ces deux nations, et les paysages présentent des ressemblances étonnantes.

Frontière de Jimani-Malpasse. Crédit : Wikimedia Commons

Cependant, au fil de mes déplacements et du temps passé à circuler sur le territoire voisin, les principales différences entre Haïti et la République Dominicaine sont devenues frappantes. L’un semblait avoir trouvé une voie politique plus stable, tandis que l’autre continuait de faire face à des défis en matière de leadership et de gouvernance. Cette réalisation m’a étreint le cœur car j’avais toujours rêvé d’investir dans mon pays d’origine.

Malheureusement, l’opportunité d’investir en Haïti restait hors de portée en raison des conditions difficiles. À la place, je me suis retrouvé à investir en République Dominicaine, un pays en pleine croissance économique. Pendant la pandémie, de nombreux Haïtiens, tout comme moi, ont décidé d’investir dans le pays voisin, principalement dans le secteur immobilier, une décision motivée par la nécessité plutôt que le choix. Cette réalité m’a profondément attristé, car j’ai constaté tout le potentiel qui existe en Haïti, mais les circonstances nous empêchaient de contribuer directement à sa croissance et à son développement. Il est indéniable que le pays voisin est en train de bénéficier de l’essor économique qui était destiné à Haïti par ses propres fils et filles. La relation entre Haïtiens et Dominicains, un aspect fascinant de l’histoire partagée de ces deux pays, est un sujet complexe que j’approfondirai dans un futur article.

Nouvelle détermination et promesse d’un nouveau départ

Néanmoins, je n’ai pas perdu espoir. Durant mon séjour en République Dominicaine, j’ai saisi chaque occasion de découvrir les contrées voisines, tout près de la frontière haïtienne. Les villes frontalières comme Belladère, Ouanaminthe et Anse à Pitres sont, la plupart du temps, des endroits très paisibles et accueillants qui n’ont rien à voir avec ce qui se passe dans la capitale d’Haïti. Bien vite, je me suis retrouvé à faire des excursions et des randonnées dans toute la région nord d’Haïti, pouvant facilement y accéder à partir de la République Dominicaine. Là, j’ai été saisi par l’éblouissante beauté et la richesse culturelle qui ont ravivé ma foi envers le potentiel d’Haïti. Ces expéditions en terre haïtienne ont été comme une invitation à en explorer toujours davantage. Elles ont éveillé en moi une soif insatiable de découverte, me poussant à entreprendre de plus en plus de voyages vers Haïti ces derniers temps.

Citadelle Laferrière, un des nombreux sites touristiques d’Haïti. Crédit : Wikimedia Commons

Malgré les défis auxquels Haïti est confronté, j’ai été le témoin de personnalités inspirantes qui ont fait le choix de regagner leur terre natale pour y semer les graines du changement positif, dans le domaine de l’éducation, du tourisme, de l’agriculture, etc. En mettant sur pied des organismes et des évènements, tels que Sa k ap fèt Okap (Quoi de neuf Cap-Haitien), P4H GlobalGrown in Haiti, et tant d’autres, ils incitent la participation active de la diaspora haïtienne dans la vie nationale et projettent une meilleure image d’Haïti à l’extérieur. Cela m’a rempli d’espoir et de détermination à être partie prenante de ce mouvement.

Mon voyage pour renouer avec Haïti ne fait que commencer. Je suis déterminé à poursuivre mes explorations et à partager mes expériences, démontrant qu’Haïti ne se résume pas uniquement à sa capitale. Je souhaite mettre en lumière les aspects et régions moins connus du pays et le travail incroyable accompli par ceux qui osent investir dans son avenir, portant en moi l’espoir et la détermination de faire partie d’un avenir plus radieux pour Haïti.


Partir à la recherche de l’inconnu

Partir à la découverte de l’inconnu peut s’avérer une aventure à multiple dimensions. C’est souvent en quête d’une vie meilleure qu’on part. Quelquefois, cependant, c’est seulement pour changer d’air ; s’éloigner un peu de l’ordinaire pour pouvoir mieux apprécier sa réalité. Mieux apprécier ce qu’on a, où on est, et qui on est. Ou simplement consentir à faire le changement nécessaire dans son train-train quotidien. Tout remettre en question. Recommencer.

7 Octobre 2019: Marche vers la frontière entre le Chili la Bolivie

Partir c’est mourir un peu, dit-on. Il faut parfois accepter de se perdre pour se redécouvrir et faire face à ses propres démons. Certains voyages sont comme un regard en arrière, un demi-tour nécessaire pour aller dans une autre direction, après s’être égaré. Une façon de réveiller le parfait inconnu qui hiberne en soi, probablement depuis l’enfance, qui s’est un peu perdu en cours de route dans ce monde en labyrinthe.

Partir à la découverte de l’inconnu c’est donc poursuivre la quête de soi. Confondre le temps et l’espace pour ensuite tenter d’y remettre de l’ordre. Découvrir de nouveaux horizons tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de soi et décider qui en fait réellement partie. Admettre qu’il y ait des choses que jusqu’à cet instant on ne s’expliquait pas, tout en cherchant à améliorer sa vision du monde.  Un monde où tout va tellement vite, qu’on a tendance à passer à côté de l’essentiel.

Il y a des milliers de raisons de partir. Et des milliers de raisons de revenir. Ne plus revenir peut même s’avérer une nouvelle option à mesure que l’on avance dans son voyage. Parce qu’en baladant, seul, dans d’autres coins du globe, on peut finir par se rendre compte qu’on l’a toujours été. Que le monde autour de soi n’est qu’une illusion. Du virtuel. Des forces visibles qui nous poussent à courir après le temps, sachant qu’on ne parviendra jamais à le rattraper.

17 Novembre 2019: Visite au Machu Picchu, Pérou

Pourtant on n’est jamais complètement seul au monde. Ni dans sa folie.  Peu importe où l’on est, on croise toujours du beau monde, qui, eux aussi, prennent la fuite, et que, probablement, on ne recroisera jamais. Qui vont surement rester qu’un souvenir lointain, ou, de nos jours, une page virtuelle de plus, un numéro de téléphone, des histoires qui disparaissent au bout de 24 heures…

Ou tout au contraire, une âme gagnée, preuve que le contact humain est encore possible et que, parfois, il faut juste partir à sa recherche.

                                                                                      Cusco, Peru, le 10 Novembre 2019


Balade en solo sur le vieux continent

J’ai fini par réaliser que rester en place ne me convient pas. Alors je m’en vais faire un tour sur le vieux continent. Valise faite, billet en poche, je me laisse enfin attirer dans les filets de ce territoire dont j’ai tant appris dans les pages d’histoires, mais qui m’est jusque-là inconnu, parce que mes pieds n’ont pas encore marché dans ses rues, mes yeux admiré ses couchers de soleil, ma peau senti sa brise du matin…

Crédit: francaisfacile.com

But du voyage

Non, ce n’est pas pour le travail. Ni pour les études. Ce n’est pas non plus pour voir de la famille ou des amis.  Ce n’est pas un voyage en groupe, entre amis, ou même en amoureux. Seul, je pars simplement m’inventer une nouvelle page d’histoire dans la partie la plus étudiée de l’Histoire du monde. N’est-ce pas suffisant comme raison ?

Compte tenu de ma réalité sociale, cette escapade en solitaire devait rester un rêve lointain. Ou encore, pour me conformer à ma réalité haïtienne, je devais attendre qu’une occasion se présente et me pousse à atterrir aussi loin. Dans le meilleur des cas, je prendrais des vacances dans un coin familier : mon pays ou ma ville natale, chez des parents ou des amis qui vivent à l’étranger… à moins que je ne parte en groupe. Mais voilà que j’ai décidé de briser ces chaines traditionnelles. Parce que le but de voyager c’est de découvrir d’autres bouts de terre, d’autres cieux, d’autres mondes…

Crédit: blog.letudiant.fr

Aventurier de mon état, la moindre des choses que je puisse faire est de m’envoler seul vers la terre du début de la civilisation. C’est peut-être risqué d’errer tout seul dans un coin totalement inconnu du monde avec des moyens limités. Mais qu’on se rassure, je suis du monde moderne et l’accès à l’information et à la communication rend mon évasion à 6 000 kilomètres pas si différent d’un détour dans l’autre pièce.

Un changement d’air

Il ne s’agit pas de parcourir le monde. Il s’agit simplement de me laisser aller aussi loin que mes ailes peuvent m’emmener.  Cela aurait pu être le quartier voisin. Après tout, un changement d’air peut se faire à tous les niveaux. Pour moi, il est strictement nécessaire de bouger. Cela favorise ma croissance personnelle et m’aide à voir le monde sous un autre angle. Sinon, je m’asphyxie. L’Amérique étant devenu un chez moi beaucoup plus grand, il est temps pour moi d’aller respirer l’air frais d’un continent voisin.

Crédit: gate1travel.com

Je vais étaler mes ailes et me laisser guider par le vent. Me poser sur les branches de Marseille et me fondre dans son paysage montagneux et au bord de ses mers. Me laisser réchauffer par la chaleur humaine et multiculturelle de Paris, dans ses rues étroites. Gouter aux saveurs de Rome à travers ses délicieuses pâtes et ses caves épicées. Me perdre dans les quartiers de Bruxelles pour ensuite me retrouver face à face au Manneken-Pis et dire bonjour aux institutions de l’Union européenne. Me laisser attirer par le rayonnement culturel de Barcelone. Apprécier pleinement le sens du dépaysement et contempler la beauté de dame nature.

Ne pas amener de compagnie n’élimine pas la possibilité de m’en faire en cours de route. En fait, ça peut même l’augmenter. Et… peut être que je ne serai pas totalement seul, si vous me faites l’honneur de faire le voyage avec moi. Alors, que l’aventure commence !

A suivre…


Un matin pas comme les autres

Ce  matin-là, je suis resté dans mon lit. Ce n’était pas étonnant, car cela m’arrivait bien des matins. Mais, celui-là avait un goût particulier. Pas ce goût habituel de déjà vécu. Ni ce goût de ras-le-bol occasionnel. Ni ce goût de je-veux-simplement-rester-dans-mon-lit. En fait, je ne voulais pas rester dans mon lit. Je voulais faire quelque chose, ce matin-là. Puis les matins qui suivent. Surtout les matins qui suivent.

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Crédit photo: lazycookie.com/

Mes yeux fixaient le plafond, mais je ne le regardais pas. Mes pensées se bouillonnaient. Se brouillaient. Je les ai laissées couler  quelques instants, pour s’éclaircir. Je ne sais plus si ces instants étaient mesurables en minutes ou en kilomètres. Le temps et l’espace n’étaient devenus qu’un. Puis, d’un coup, j’étais revenu sur terre. C’était devenu clair.

C’était devenu clair que…

Ce matin-là était relié à un autre matin. Un matin où j’étais à bord de tout foutre en l’air, pour des raisons restées sombres. J’avais pris ma « retraite » du reste du monde. J’avais également fait de nombreux voyages – de courte durée – dans le temps et l’espace. Puis j’avais simplement repris mon train-train quotidien, comme si la matinée en question n’avait jamais existé. Ce matin-là était donc la suite de l’autre matin. Parce que le temps s’était arrêté depuis lors.

Pourtant, ce matin-là était bien différent. Je trouvais des réponses à des questions posées, l’autre matin. Je remettais en question des décisions adoptées, l’autre matin. Je tournais et retournais questions et réponses dans ma petite cervelle, me vidant et me remplissant, comme pour en faire un cocktail. Cette fois, je ne voulais pas faire semblant qu’un matin aussi crucial n’avait jamais existé.

J’ai voulu…

J’ai voulu partir. Mais je suis déjà parti. Très loin, même. J’ai voulu m’isoler dans le calme et le silence. Mais là, tout ce que je pouvais entendre, c’était mes propres monologues intérieurs. Mon mal de crâne en était le seul témoin.  J’ai voulu être libre et indépendant. Mais je l’étais entièrement, déjà. Si bien qu’on appelait ça « être imprudent ». J’ai voulu changé beaucoup de choses. Mais les choses avaient tellement changées, déjà, qu’elles étaient devenues méconnaissables.

C’est ce qui a rendu mes idées claires, ce matin-là. J’ai compris que j’avais eu tout ce que j’ai toujours voulu, pour être plus productif. Mais je n’étais pas plus productif. Ce matin-là, j’étais épuisé de chercher des excuses. Il y en avait plus. C’était clair.

C’était clair que…

J’avais plein d’idées mais j’étais devenu incapable de les accoucher. Je trouvais toujours la bonne excuse. Ma productivité était réduite à tout-remettre-à-plus-tard. Et la pile grossissait. Ce matin-là, elle était renversée.

Ce matin-là, j’ai pris conscience de tous les privilèges que j’avais, que j’aurais tant aimés avoir eus dans le temps, mais que je n’avais pas eus. Et pourtant j’étais beaucoup plus productif en ce temps-là.

Ça y est. J’étais devenu une autre personne. Chaque personne doit avoir sa propre méthode pour être productive. Ce qui a marché pour l’autre ne marchera pas forcément pour moi.

Ce matin-là, j’ai compris ce qui marcherait pour cette personne que je suis devenue. Alors je suis sorti de mon lit. Un peu comme l’autre matin, un peu comme tous les matins, mais avec la conviction d’être plus productif.


« Partir à tout prix »

Crédit: Apec.fr
Crédit: Apec.fr

Je ne resterai plus ici, j’irai ailleurs
Bientôt, j’irai vers une vie pire ou meilleure
J’ignore quand, ni trop comment, je partirai
J’ignore où, mais je sais pourquoi, je m’en irai

Partir est ce qu’il existe de plus normal
J’irai pour ne causer ni subir plus de mal
Je partirai parce que j’en ai grande envie
Je partirai pour donner un sens à ma vie

Je partirai afin de fuir l’hostilité
Je partirai pour prouver mon utilité
J’irai à la rencontre de la liberté
J’y irai avec mes responsabilités

Je partirai chercher ce que je n’ai pas eu
Je partirai retrouver ce que j’ai perdu
Je m’en irai pour avoir aimé et déplu
Je m’en irai et je ne reviendrai plus

Même s’il faut passer par un désert, j’irai
Là où les sources semblent mieux couler, j’irai
Là où le soleil semble mieux briller, j’irai
Là où n’ira ma colère, je m’arrêterai

Crédit: blog.letudiant.fr
Crédit: blog.letudiant.fr

Je parcourrai la ville, le pays, le monde
J’aurai fait des miles rien qu’en quelques secondes
J’irai dans d’autres villes, d’autres bouts de terre
Dans d’autres mondes, d’autres vies ou sous la terre

Je marcherai, grimperai, sauterai, fuirai
Je prendrai l’auto, le bus, l’avion et j’irai
J’irai en jet, en fusée, en vaisseau spatial
A dos d’âne, en bateau ou en transport spécial

Qu’importe si je ne peux rien apporter
Qu’importe si l’air ne peut me supporter
La mer ne peut refuser de me transporter
La terre ne peut refuser de m’emporter

Je partirai un matin, un midi, un soir
Je serai vêtu de blanc, de gris ou de noir
Qu’importe si je pars avec ou sans papier
Qu’importe si je pars seul ou mal accompagné

Il fera peut-être une nuit chargée d’étoiles
Ou un matin sombre quand je mettrai les voiles
Même si pour moi ça risque d’être fatal
Je partirai quand viendra le moment idéal

Ecrit le 11 août 2010


Chez moi c’est… là-bas !

La carte d'Haiti (Google Maps).

Cher ami,

J’ai appris que tu as reçu ton visa américain. Je suis si content pour toi. Ceci est une marque de réussite dans notre pays, car toute la population n’a pas cette chance. J’ai hâte que tu visites ce beau pays, et j’ai hâte de te revoir. Comme tu le sais, ça fait seulement un an que je vis ici, mais ça m’a semblé très long. New York est la ville de rêve de plein de gens. La terre des opportunités et des accessibilités, dit-on. Je ne devrais pas me plaindre. C’est pour répondre à ta question que je dis ça. Tu m’avais demandé si je pensais que tu pourrais trouver des opportunités et y rester définitivement. Ne le prends pas mal, mais j’aimerais te dire de ne pas t’emballer. Les choses ne sont pas toujours ce que de loin elles semblent être. Tu vérifieras par toi-même.

Ce que je m’apprête à te confier, je ne l’aurais sûrement pas fait si je ne savais pas que tu allais venir. Tu n’aurais pas compris de toute façon. Vivre dans l’une des plus grandes villes du monde est un privilège, je le reconnais. Cependant, je ne cesse de me demander si j’ai fait le bon choix, si je pourrai tenir jusqu’au bout…

Tu sais, je suis si proche de mon but, mais si loin de ma famille, mes amis, mon mode de vie, mes récents projets… Ma venue ici a été une décision soudaine. Alors je suis parti laissant derrière moi des tas de projets inachevés. Et puis, se réadapter est parfois traumatisant.

C’est toujours cette même nostalgie qui m’envahit depuis un an à chaque fois que je me retrouve avec moi-même. Je vis ici, mais mon cœur est resté là-bas. J’ai soif de rentrer chez moi. Dans ce pays où j’ai vécu les deux premières décennies de ma vie. Le pays des calamités. Cet enfer que tous ses fils veulent quitter. Et l’attente me semble trop longue.

J’avoue, j’ai souvent rêvé de quitter cette terre comme tous les jeunes de mon âge. Les moins fortunés notamment, dont le plus grand rêve est de vivre n’importe où, sauf dans leur propre pays. Ils disent que le pays ne leur offre rien… Mais, dis-moi, lorsque tous les jeunes courageux, déterminé et talentueux auront quitté le pays, que deviendra Haïti ? Tu ne peux pas le savoir.

Je crois bien que ce désir d’aller vivre ailleurs est né du fait qu’il n’est malheureusement pas donné à tous les Haïtiens la liberté de voyager. Il nous faut un visa pour aller partout et ce visa n’est donné qu’au plus chanceux. Alors on se dit qu’ailleurs il y a sûrement quelque chose de précieux. Et on veut à tout prix y aller.

Beaucoup me disent qu’ils donneraient n’importe quoi pour être à ma place. Quand j’ai dit à Patrick que je vivais actuellement aux États-Unis, il s’est exclamé : « Félicitations, j’ai toujours su que tu réussirais ! » Comme si vivre aux États-Unis était synonyme de réussir. Bien sûr, en ce qui me concerne, il m’a fallu gravir une bonne partie de l’échelle pour me retrouver là. Mais, dans un contexte général, tous ces sans-papiers qui arrivent de partout pour vivre mieux ici n’ont réussi qu’à se fourrer dans beaucoup de problèmes. Je te l’assure. C’est pourquoi cher ami, quoique tu fasses, ne deviens pas un sans-papier.

Ah, les sans-papiers ! Laisse-moi brièvement t’en parler. La devise de ces gens c’est « plutôt souffrir dans un grand pays que de souffrir dans un pays pauvre ». Au moins ils ont accès à la santé, la nourriture, l’eau potable… Ils ont parfois un travail misérable avec un salaire minimum, ce qu’il n’aurait même pas eu dans leur propre pays. Alors comment peut-on leur demander de rentrer ? Comment peut-on blâmer ces gens qui ont été contraints de quitter leur pays en quête d’un peu de repos, d’un peu de répit, d’une vie meilleure…

Après avoir travaillé si durement pour construire ce « grand pays », souvent, ils n’osent même pas rentrer pour visiter, par peur de l’insécurité. Cette terrible croyance qui veut « diaspora » rime avec richesse et qui fait des émigrés les cibles de malfrats. Et puis des années passent, ils deviennent des étrangers pour leur propre pays…

Je ne veux absolument pas que cela m’arrive ! Mais, comment l’en empêcher ? Je voudrais retourner chez moi, un jour, bientôt, je ne sais quand. Car rien d’autre ne peut chasser ce sentiment qui me fait venir des larmes à chaque fois que je pense à là-bas.

On dit que l’homme éclairé n’a pas de patrie. En effet, j’adore voyager et découvrir d’autres bouts de terre, d’autres cultures… C’est possible aussi que des raisons indéfinies me pousser à vivre définitivement en dehors d’Haïti. Cependant, peu importe où je suis, chez moi, c’est, et restera toujours, là-bas !

A bientôt cher ami.


Je n’écris plus…

Je n’écris pas. Je ne fais que verser de l’encre sur du papier, remplir des pages blanches. Lorsqu’on me le demande.

Je ne fais que coller des bouts de mots, pour formuler leurs idées, leurs requêtes, leurs points de vue. Lorsqu’on m’y oblige.

Je ne fais que leur servir de canal. Transmettre leur voix, tout en perdant la mienne. Satisfaire leurs envies, laissant les miennes insatisfaites.

Je n’écris pas. Je ne fais que transcrire leurs dictées. Sans fautes. J’exprime ce qu’ils veulent faire croire. Jusqu’à ce que j’y crois moi-même. J’utilise leurs propres mots. Pas les miens. Mes mots, je les tais. Si bien que je les oublie. Mes mots restent ensevelis tout au fond de moi. Je n’ose pas les exprimer. Mes mots, je ne les écris pas. Je ne les écris plus. Si je les bouillonne, ils finissent à la poubelle.

Une photo de mon propre carnet de note.
Mon carnet de notes.

Mon écriture est pleine de houille. Elle est endommagée. On croit que l’écriture est ma spécialité. Et pourtant, je n’écris même pas. Je n’écris plus. Je ne fais que gagner mon pain, en tant qu’ouvrier de plume. Ouvrier comme les autres.

L’écriture pour moi a toujours été plus que ça. Elle et moi partagions l’intimité, à un moment. Une passion intense. Elle était ma canne, mon seul refuge. Elle était ma voix, mon pain quotidien. Elle était toujours là pour m’accompagner dans ma solitude.

De nos jours, l’écriture et moi empruntons souvent la même voie, mais ne nous donnons pas la main. Pas par manque d’envie. Peut-être par manque de crânerie ?

L’écriture et moi partageons une histoire qui ne s’effacera jamais. Qui ne se terminera jamais. J’avais démarré un jour comme ça. Et je n’ai pas pu m’arrêter. Jusqu’au jour où je me suis complètement arrêté. Et je n’ai pas pu recommencer.

Mais aujourd’hui, et si je recommençais ?